Les Archives Nationales présentent actuellement (jusqu’au 27 mars) une rétrospective sur 500 ans de procès intentés aux femmes. Cinq archétypes de ces « femmes coupables » sont analysés : les sorcières, les empoisonneuses, les infanticides, les pétroleuses et les traîtresses.
Quel acharnement la justice des hommes (au sens propre) a-t-elle développé pour condamner ces femmes : qui au bûcher, qui à la guillotine, qui en prison et qui en humiliation publique ! Elle a usé de tous les moyens pour extorquer des aveux : intimidations, questionnements intimes, tortures… et pour démontrer que seules les femmes pouvaient être aussi mauvaises !
Sorcière ? Il suffisait qu’un témoin assure avoir vu une femme préparer une potion pour être accusée d’entente avec le Diable – et avec son cortège de méfaits (on estime à plusieurs dizaines de milliers les accusations de sorcellerie en Europe entre 1560 et 1630)
Empoisonneuse ? La femme n’a pas la force de l’homme. Elle ne se bat donc pas en duel. Mais elle utilise le poison pour combattre ses ennemis – c’est tellement moins noble et tellement plus lâche ! Il fut un temps où les femmes avaient interdiction d’entrer chez l’apothicaire, c’est dire…
Infanticide ? 99 % des accusés sont des femmes, souvent de toutes jeunes filles, généralement pauvres – et violées (par le père parfois). Pour endiguer ce flot, Édit d’Henri II (1556 – en vigueur jusqu’à la Révolution) a rendu obligatoire de déclarer sa grossesse
Pétroleuse ? Il n’existe même pas de masculin à ce qualificatif ! Les Communardes, souvent célibataires, libres de leur corps et de leurs opinions, étaient des cibles toutes désignées à la vindicte masculine. Quant les hommes parlent d’elles, ils utilisent des termes dévalorisants : soiffardes, laideronnes furibondes, femelles sorcières, sales et négligées, prostituées… Négation totale de leur engagement politique et humanitaire… Crime suprême : elles s’habillaient en uniforme masculin !
Traîtresse ? Qui ne connaît le déchaînement de violence lors de l’épuration en 1945 : femmes tondues (on parle de 30.000), bannies, frappées d’indignité nationale pour avoir – en grande majorité – aimé ou seulement fréquenté un Allemand ? Les tribunaux d’exception de cette époque les qualifiaient « d’adultères à la Nation », rien que ça !
Détail intéressant pour ce dernier point : un seul homme fut tondu ! C’était un coiffeur…
L’exposition est organisée en 5 salles d’ambiance colorée différente. On y voit les registres des interrogatoires, dont certains extraits sont repris en projection diaporama, une iconographie de plus en plus foisonnante au fil des époques. Elle donne à voir aussi que la presse, le cinéma, la télé ont par ailleurs passablement renforcé les stéréotypes mis en lumière.
La richesse des ressources fait de cette exposition une mine de renseignements, interroge nos croyances ancestrales, interpelle notre bon sens, notre intelligence et notre humanité.
Certains visiteurs pointent, dans le livre d’or, la petitesse des textes (sur les murs, en vidéo ou en diaporama), d’autres la pénombre permanente des 5 salles, laissant la part belle aux mots et images-clés de l’exposition. On peut en effet être gêné par ces choix. Mais l’essentiel est ailleurs : c’est la mise en perspective des archives judiciaires et de la représentation sociale de la femme à travers les siècles et c’est magnifiquement décortiqué !
Le site des Archives Nationales mettra en ligne l’intégralité de l’exposition en avril prochain. En attendant, le livre-catalogue est disponible (25 Euros – préface d’Élisabeth Badinter).