« L’anniversaire » de Pinter : c’est du gâteau !

J’ignorais, lorsque j’ai écrit mon article sur le théâtre d’Harold Pinter en décembre, qu’une de ses pièces était en préparation à Paris. Ma promesse d’être dans la salle s’est finalement réalisée bien plus tôt que je ne le pensais ! Je n’étais pas à la première le 31 janvier, mais à la seconde, le lendemain en matinée…Un régal !

J’y ai retrouvé tous les ingrédients de Pinter : des situations à la fois floues et tragi-comiques, des personnages multifacettes posés là comme à leur insu, jouant les girouettes face aux événements qui se succèdent, des cassures de rythme percutantes et étonnantes et, bien sûr, des dialogues étincelants de surréalisme.

La caractéristique de Pinter, c’est son intention de livrer une histoire que chacun, dans la salle, va construire selon sa manière de la comprendre. C’est une démarche extraordinaire.

Dans « L’anniversaire », il y a 6 personnages :

– un couple dépareillé propriétaire d’une pension de famille non loin de la mer (Jacques Boudet et Andréa Ferréol)
– un pensionnaire, le seul depuis un temps indéfini, fantasque, irrespectueux, facétieux et  souvent inquiet, dont on ignorera toujours les raisons de la présence (Lorant Deutsch)
– une jeune voisine à la fois grave et délurée (Emilie Chesnais)
– un duo de visiteurs ponctuels, à l’attitude ambiguë mélangeant courtoisie, faux-semblants, agressivité, bonne humeur et malveillance – ils ne sont pas là par hasard et on sent la menace planer, mais jamais l’auteur n’en révèlera le secret (Jean-François Stévenin et Nicolas Vaude).

Les relations entre ces personnages sont toujours décalées, glissantes, croisées, antagonistes. La « longueur d’ondes » entre eux n’existe pas, ou de manière fugace.

Les acteurs sont irréprochables :

Jacques Boudet et Andréa Ferréol campent ce couple d’hôteliers, lui convivial et fataliste, elle un peu naïve et en manque d’affection. L’acteur est excellent en candide, et sa partenaire complexe et fragile à souhait (j’aime beaucoup cette actrice au jeu lumineux d’exactitude).

Lorant Deutsch donne à Stanley, son personnage, l’équilibre parfait d’une image double : enfant déluré et homme tenaillé par un secret qu’il cherche à cacher. D’ailleurs, ces deux caractères sont peut-être même des façades, cachant une troisième entité, plus manipulatrice…

Emilie Chesnais, en peu de scènes, donne de l’épaisseur à son personnage de jeune fille réfléchie et parfois impulsive.

Jean-François Stévenin est délicieusement inquiétant, philosophe-prédicateur hasardeux et pseudo-gangster aux bonnes manières.

Mais ma préférence va au jeu de Nicolas Vaude, dont la composition extraordinaire, appuyée sur des attitudes, des gestes et des regards très justes et, surtout, une formidable palette d’expression vocale, confère à son personnage d’exécuteur des basses oeuvres une dimension digne de la plus belle littérature fantastique.

L’unique décor, bois clair et métal, est conçu comme une arène où s’affrontent les personnalités. D’ailleurs, la table centrale, démesurée, sert de second plateau où se passent beaucoup des scènes-clés de la pièce. L’ajout d’immenses miroirs tout autour renforce l’intensité des échanges, renvoyant par ricochets les comportements étonnants et les dialogues subtils.

La mise en scène est précise, telle un ballet aux figures complexes mais bien dessinées, jouant sur la dualité mouvement / statique, avec quelques accélérations pertinentes aux moments forts. L’éclairage souligne judicieusement les diverses phases de l’histoire, passant du jaune-lumière au bleu-inquiétant.

Les costumes concourent à l’atmosphère générale par leur harmonie de couleur : beige, blanc cassé, noir et bleu foncé, avec cette touche flambloyante de rouge dans la robe de bal majestueuse que porte Andréa Ferréol pour fêter l’anniversaire de Stanley.

Allez goûter ce gâteau d’anniversaire à la Comédie des Champs-Elysées : une réussite. Et… merci, M. Pinter !

Voici un extrait du discours d’Harold Pinter lors de la réception du Prix Nobel de Littérature en 2005 (copyright La Fondation Nobel 2005) :

En 1958, j’ai écrit la chose suivante :

La vérité au théâtre est à jamais insaissisable. Vous ne la trouvez jamais tout à fait, mais sa quête a quelque chose de compulsif. Cette quête est précisément ce qui commande votre effort. Cette quête est votre tâche. La plupart du temps vous tombez sur la vérité par hasard dans le noir, en entrant en collision avec elle, ou en entrevoyant simplement une image ou une forme qui semble correspondre à la vérité, souvent sans vous rendre compte que vous l’avez fait. Mais la réelle vérité, c’est qu’il n’y a jamais, en art dramatique, une et une seule vérité à découvrir. Il y en a beaucoup. Ces vérités se défient l’une l’autre, se dérobent l’une à l’autre, se reflètent, s’ignorent, se narguent, sont aveugles l’une à l’autre. Vous avez parfois le sentiment d’avoir trouvé dans votre main la vérité puis elle vous glisse entre les doigts et la voilà perdue.

Dans ma pièce L’Anniversaire, il me semble que je lance des pistes d’interprétation très diverses, les laissant opérer dans une épaisse forêt de possibles avant de me concentrer, au final, sur un acte de soumission.

 


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