Le couronné virus

C’est un poème (pamphlet !) écrit en mars 2020 par Michel Billé, sociologue, spécialiste des questions du handicap et de la vieillesse. C’est long, mais cela mérite le détour.

Il y a déjà longtemps que Jean de la Fontaine
Nous racontait l’histoire d’animaux infectés
Par une maladie d’origine incertaine
« Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés »

Plus de trois siècles après, on pensait volontiers
L’image de la peste largement dépassée,
Pour comprendre ce qui pourrait bien se passer !
Ils n’en meurent pas tous mais tous en sont frappés.

Un virus inconnu, brusquement apparu,
Envahit récemment quelque pays lointain
On l’observa, bien sûr, mais personne ne crut
Qu’il pourrait du même coup menacer les voisins.

Le virus commença partout à se répandre,
Tel un guerrier vainqueur au sommet de sa gloire,
A terrasser les foules, à régner, à surprendre,
A écrire sa page d’une bien sombre histoire.

Il fallut tout d’abord nommer cet ennemi
Et pour cela confier aux plus grands des chercheurs
Le soin de décider, en grande académie
Du nom qu’ils donneraient à ce dévastateur.

Un détail apparut qui prit son importance :
En spectre couronné le virus se montrait,
En symbole effrayant de sa grand arrogance
Le voici « corona » et son nom s’imposait.

Le coronavirus désormais reconnu
Roi de la pandémie, ennemi déclaré
Sur tous les continents, redouté, attendu,
De la Chine à l’Europe, fléau d’humanité.

Le malin fit son œuvre : il tua par milliers
Comme avant lui la lèpre, la peste l’avaient fait.
Le monde s’arrêta pour le contrecarrer,
La guerre était partout, la mort se répandait.

Il fallait réagir ! Monsieur le Président
S’adressant aux Français un soir prit la parole
Et solennellement déclara : « Confinement »
Fermeture d’abord des crèches et des écoles

Et fermeture aussi des collèges, des lycées,
Des universités, théâtres, librairies,
Des piscines, salles de sport, restaurants et cafés,
Des salles de concert et des commerces aussi.

Interdit de sortir, de flâner, de courir !
Restez chez vous, faites votre télétravail
Soyez heureux d’avoir encore un livre à lire
Car le confinement, il n’y a que ça qui vaille.

Unité du pays ! La guerre est déclarée !
Prenons soin des plus vieux, ensemble combattons !
Masques, gants et gel vous seront distribués
Et coronavirus ensemble nous vaincrons.

La guerre est déclarée et c’est l’état d’urgence
Tout le monde est d’accord : urgence sanitaire !
Les très mauvaises langues dénoncent les carences
Pour le reste, c’est clair : l’urgence est policière…

Restez chez vous le jour – ou bien dérogation !
N’embrassez plus personne, ne jouez pas ce jeu !
Ne serrez plus les mains : pas de propagation !
Ne sortez plus le soir, là est le couvre-feu.

Ceux qui n’ont rien à dire ont tous pris la parole
Pour réduire au silence tous ceux qui montent au front
Soignants et médecins, dans une course folle
Ont tenté de pallier le peu de munitions.

« Il n’y a pas de lits de réanimation ?
Qu’importe ! L’armée vient et vous prêtre main-forte
Oui, nous assurerons l’union de la nation
L’hôpital de secours vous ouvrira sa porte ».

Victor Hugo aurait su dire la colère
Du peuple qui entend parler son Président :
« Bon appétit, messieurs, ô ministres intègres !
Quel remède à cela ? L’état est indigent ».

Et l’hôpital public pleure depuis longtemps
L’absence de moyens, l’ultra-libéralisme.
Les choix délibérés de nos gouvernements,
La réduction des coûts jusqu’à son paroxysme.

Les personnels usés, en nombre insuffisant
Craignent que la santé devienne marchandise.
Mais sans alternative admettent cependant
Qu’il faille tout donner pour faire face à la crise.

Et ça dure, et ça dure ! Il nous faudra longtemps
Pour sortir de la crise, analyser, comprendre
Ce que le corona révèle de ce temps,
De nos manière d’être, ce qu’il nous faut entendre.

Ce virus est toxique. Il tue. C’est effrayant.
Mais il nous faut bien voir qu’il parle d’autre chose :
Notre façon de vivre et notre environnement…
Dans tout cela peut-être il faut faire une pause.

La peste revenant a changé d’apparence.
Nous croyons tout savoir, dominer, maîtriser.
Nous regardons le monde avec tant d’arrogance
Que nous n’avons pas vu arriver le danger !

Et quand nous sortirons de ce confinement,
Ce sont nos modes de vie qu’il nous faudra changer.
Sans quoi, nous le savons désormais parfaitement :
Nous n’en mourrons pas tous, mais serons tous frappés.

Réveillons-nous ! Debout, les damnés de la terre !
Confinés, isolés, reliés symboliquement :
Virus, faim dans le monde, précarité, misère…
Rêvons encore un peu – mais solidairement.

 


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